Il était le genre d'heure où Hirô ne travaillait plus, c'est à dire le genre d'heure aléatoire entre dix neuf heure et vingt trois heure. Mais si Hirô ne travaillait pas à cette heure, c'est parce qu'un élève l'avait convoqué pour demander une permission spéciale. Oh oui ! Un élève qui lui donnerait du travail, voilà qui avait de quoi le rendre heureux ! Sa femme se reposait dans le salon, devant une émission de télé japonaise bruyante. Pendant ce temps, il ravivait le feu dans la cheminée et attendait que l'eau sur la gazinière ait fini de chauffer. Il avait posé sur la table de réception deux tasses, du café, du thé, deux verres, une bouteille d'eau, des jus de fruits et des sodas. On ne pouvait jamais connaître les goûts des étudiants ! Par terre, il y avait une gamelle pour l'oleign de son invité et il proposait quatre types de boissons pour les créatures. Qu'est-ce qu'il était gentil, cet Hirô ! La bouilloire siffla. Il éteignit le feu et posa la bouilloire au centre de la table sur un dessous de plat en céramique bleue et verte. Il attendait désormais que son invité arrive.

Hirô se précipita sur la poignée en entendant frapper à la porte. C'était comme la venue du père Noël dans son coeur ! Ouvrant le pan de bois, il laissa son invité se mettre au chaud, regardant à deux fois si son oleign n'était pas caché derrière lui dans la pénombre. Il était un peu déçu mais pas abattu ! Il guida le jeune homme jusqu'à la salle de réception et lui intima de se servir tandis qu'il rangeait ce qu'il avait sorti pour sa créature. Le dos tourné, occupé à réorganiser ses placards, il posa les questions conventionnelles.

"Quel temps ! J'ai cru que vous ne viendriez pas avec ce froid ! Que puis-je faire pour vous ?"

Bon, il avait parlé un peu plus. Comme d'habitude. Mais il était temps de se poser et d'écouter avant de recommencer à parler avec plus d'envergure et de convictions que jamais !

Et ben ? Il restait debout ? Il était timide, le pauvre ! Hirô allait l'aider à se mettre à l'aise à coup sûr ! Des affiches ? Hein ? Quoi ? Oui oui bien sûr, avec ou sans sucre ? Non, mauvais raisonnement. Il était où l'oleign ? Hirô tentait de ne rien laisser paraître de son malaise mais ne pouvait s'empêcher de jeter sans cesse des coups d'oeil fréquents à l'endroit où il plaçait habituellement la gamelle pour les créatures.

"Et bien, asseyez vous, vous n'allez pas rester planter là toute la soirée... Voyez vous, je ne vois pas d'objection à ce que vous placiez vos affiches sur les panneaux d'affichage de l'académie en théorie mais il me faut préalablement vérifier le contenu à afficher afin d'éviter de me retrouver comme il y a treize ans avec des posters érotiques dans tous les couloirs ! Hahahaha ! Quels plaisantins ces élèves des fois, ils ne cesseront jamais de m'étonner !"

Et il tapota de nouveau la place où il proposait le couvert. Ah ? Il avait déjà évoqué "toute la soirée" ? C'était une expression voyons ! Il n'allait pas risquer de mettre en échec scolaire un élève de cette trempe en l’empêchant de dormir !

Oh mon dieu que c'est dérangeant ! Les phrases étaient certes poignantes, la passion omniprésente, la volonté débordante... Mais ce dessin ! On ne pouvait expressément pas afficher ce gribouillage partout dans l'académie. Hirô secoua la tête en signe de désapprobation. Soudain, sa voix s'éleva, forte et remplie d'une conviction qui affichait encore la force de sa jeunesse. Il tapa des deux mains sur la table en s'appuyant de part et d'autre de l'affiche.

"Hors de question d'afficher ceci, jeune imprudent ! Nous allons réaliser une affiche bien plus vivante et bien plus spectaculaire que toute les autres !"

Il se tourna d'un coup vers Shimahime qui s'était déjà redressée, prête à agir. Il ne suffit que d'un hochement de tête sérieux, tous deux parfaitement sérieux quant à leur plan. L'oleign tigrée ouvrit la porte seule et s'élança dans la nuit à la cherche de ce qui lui avait été demandé.

"Pas d'inquiétude, jeune homme, une fois cette affiche refaite, tu pourras en afficher sur tous les panneaux d'affichages ! Nous garderons les phrases d'accroche mais il nous faut absolument revoir ce dessin et mettre un peu de couleur. Hime est partie nous chercher pile ce qu'il nous faut pour ça. En attendant, n'hésitez pas à boire quelque chose."

Il souriait d'un air déterminé, pressé que tout se mette en place.

Hirô s'empara de la bouilloire avec véhémence. Contrairement à la salle des professeurs, il n'y avait que du café soluble ici. Il versa le liquide bouillant et sorti un nouveau couvert en attendant que son invité se soit servi en café. Décidément, la gamelle réservée aux oleigns invités allaient beaucoup voyager vu qu'il venait de la ressortir avec tout le nécessaire qui allait avec.

"Ne vous en faites pas, je suis sûr que nous parviendrons à attirer plus de gens avec une affiche attrayante ! Je suis persuadé que Shimahime ramènera ce dont nous avons besoin rapidement !"

Ça n'était rien de le dire. Vive comme l'éclair, légère comme le vent, la reine tigrée s'était élancée à l'assaut de la tour Ventus, soulagée que le couvre feu soit déjà tombé. Personne ne pouvait la voir ni la gêner et en arrivant à destination, elle gratta férocement à la porte en projetant sa conscience vers les résidents de la petite pièce.

"Ouvrez et montez, on s'envole !"

Pas besoin de dire la vérité avec un cas pareil. Autant dire ce qu'il avait envie d'entendre et laisser Hirô récolter les problèmes qu'il avait semé.

Shimahime avait couru aussi vite que possible sans faire tomber le jeune homme. Les escaliers avaient défilé à une vitesse ahurissante et c'est bien plus vite qu'on ne pourrait le croire que les nouveaux invités franchirent le pas de la porte après le claquement violent de la porte poussée par l'oleign tigrée. Attrapant délicatement le dos de son pyjama dans ses crocs, elle le fit descendre face à la porte de la salle de réception. Conscient qu'il ne bougerait pas de lui même, elle le poussa de la tête vers l'intérieur, ignorant les éventuelles plaintes du bébé oleign.

"Merci, Hime ! Désolé de t'avoir dérangé pour cela. Et désolé aussi à vous deux, je ne souhaitais pas vous brusquer à une heure si tardive... Je voulais juste solliciter votre aide pour un petit atelier dessin. J'ai cru comprendre que Cabon-kun avait un certain potentiel en la matière et notre ami ici présent souhaiterai réaliser une affiche pour illustrer le club d'athlétisme. Tu pourrais faire ça ?"

Il se pencha ensuite immédiatement sur le Sunko et lui proposa trois types de boisson (énergisante, relaxante, sucrée) en plus de l'eau afin de subvenir en premier à ses besoins. Puis il retourna s'occuper des humains.

"Installez vous, prenez place, on sera plus à l'aise pour discuter. Je vais chercher de la peinture et des crayons à l'étage, j'en ai pour deux minutes !"

Et il franchit la route jusqu'à l'escalier en quelques enjambées. Shimahime était retournée dans le salon pour manger à sa gamelle, à côté du feu de cheminée.

Le concierge eut l'air d'un vendeur de broutilles ambulant lorsqu'il redescendit l'escalier central de sa demeure. Il avait les bras chargés de pinceaux, boîtes de peinture, de crayons, de pastelles, de feutres et d'outils en tout genre. Il n'aimait pas particulièrement ça mais il avait un débarras plein d'une multitude d'objets qu'il avait pu voir occuper les élèves de l'académie. En arrivant, il déposa le tout au pied de la table dans une cacophonie peu sympathique. En voyant Ludovic se faire à boire, il rit légèrement. Il s'adressa à tour de rôle aux deux garçons présents dans la pièce.

"Tu trouves ce dont tu as besoin, Cabon-kun ? N'hésite pas à demander surtout. Tu penses que tu pourrais aider ton senpai ? Et vous, si vous avez des recommandations à faire quant à l'affiche, il serait bon de les énoncer avant qu'il ne commence. Il est tellement spectaculaire quand il peint que je déconseille de le perturber."

En effet, Ludovic avait quelque chose de magique lorsqu'il avait un pinceau dans les mains. Gosuke pourrait ici passer commande pour la prestation artistique la plus spectaculaire qu'il n'avait jamais vue.

Le concierge ne pouvait cesser d'être surpris par ce jeune homme talentueux. Il observa quelques instants sa façon de faire avant de se pencher légèrement sur l’aîné en chuchotant.

"Vous allez voir, c'est stupéfiant. Vous pouvez faire tout ce que bon vous semble désormais tant que vous restez là, ça va être une bonne occasion de discuter. J'ai remarqué que vous n'avez pas votre oleign avec vous. Tout se passe bien ?"

Oui, quand on demande des informations sur les gens, c'est des informations sur les oleigns des gens. Et surtout sur les oleigns non-présents. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire en attendant que le jeune garçon finisse sont oeuvre.

Hirô était quelque peu choqué par les propos du sportif et avait écarquillé les yeux pendant son discours. Il tenta de chuchoter en répondant mais sa voix était légèrement plus forte que la fois précédente.

"Voyons, jamais la présence d'un oleign ne saurait me troubler ! Et n'oubliez pas qu'elle est en quelque sorte liée à vous, il est davantage troublant de ne pas la voir à vos côtés en toutes circonstances. La pauvre Dame doit sûrement se sentir seule et fatiguée, j'aurais sans doute pu la masser pour apaiser ses pauvres muscles endoloris... Shimahime aurait pu discuter avec elle sur des sujets que nous ne comprenons qu'à moitié ! Je suis persuadé qu'il aurait été bon qu'elle vienne se détendre avec nous en buvant une boisson appropriée à son état."

Là dessus, pas de question retour. Hirô, bien que très ouvert à la discussion, restait assez étroit d'esprit sur le sujet. Et puis bon, cet élève avait oser épuiser son oleign, le pousser au delà de ses limites jusqu'à ce qu'il ne puisse plus bouger. Monstre.