Connard. Enfoiré. La liste s'allongea, petit à petit, dans son esprit. Jing faisait la tronche et son air sérieux en disait long sur ses sentiments actuels. Ling le suivait avec un air intrigué. S'il n'aimait pas ce que l'humain dégageait, il était résolu à attendre.
Ah, il veut jouer à ça, hein ? Le chinois pouvait accepter beaucoup de choses, entendre tout un tas de remarques mais tout ne passait pas. D'un pas pressé, l'homme traçait dans les couloirs évitant de justesse des élèves ou des professeurs. Fait rare mais très significatif, le psychologue portait une costume noir, mais sans cravate. Avoir l'air sérieux était un minimum pour la suite de l'opération.

Ses pieds s'arrêtèrent devant la porte de sa destination. Jing toqua et entra sans attendre la phrase de rigueur, Ling le talonnant mais restant assis près de la porte. Tout en avançant dans la pièce, l'homme lança tout de même.

« - Excusez notre intrusion. »

Puis il avança jusqu'au bureau, ses mains se posant sur le meuble.

« - Vous avez prévu quoi pour moi, après ? Ça m'intéresse beaucoup Monsieur le Directeur. »

Jing détourna son regard un instant, rapprocha une chaise et s'installa. Et le chinois pouvait attendre très très très longtemps sans problème. Pendant ce temps, Ling avait fini par s'allonger par terre, visiblement prêt à s'endormir.

Il fallait plus que du silence ou de l'indifférence pour lui faire faire demi-tour. Tranquillement, le psychologue fouilla dans ses poches et finit par en sortir deux casse-têtes miniatures en métal. À défaut de mettre ses chaussures sur le bureau - mais l'idée lui était bien passée par la tête -, l'homme posa un des objets dessus. L'arrivée de Tae avait sorti Ling de sa léthargie mais n'avait pas perturbé l'homme. Quant à l'oleign, il avait vite replongé dans sa sieste improvisée. Le tintement des pièces maniées le berçait, même si les gestes sonnaient plus nerveux qu'à l'accoutumée. La question de Tae le tira de son somme. Un bâillement indiscret brisa le silence avant que Ling ne se redresse.

*Des élèves ne veulent plus venir voir Jing parce que le Directeur a dit qu'un psy ne sert à rien.*

La parole du Directeur prévalait sur la sienne et Jing avait cessé d'insister. À quoi bon employer un psychologue si c'était pour inciter les élèves à l'éviter ? Question qui commençait sérieusement à prendre trop de place dans son esprit.
Pendant ce temps, Ling observait les humains.

*Jing a fait quelque chose de mal ?*

La réponse de Tae lui confirma que les humains étaient des êtres bizarres. Et comme il valait mieux se tenir loin de tout ça, Ling décida de se recoucher dos aux deux hommes.

* Du moment qu'ils crient pas... *

La lèvre inférieure du psychologue se leva dessinant une petite moue agacée sur son visage. Normalement, il finissait ce casse-tête en quelques secondes mais son cerveau butait sur quelque chose. Ses paupières se fermèrent et Jing inspira un grand coup. Les yeux rivés sur les pièces de métal, le chinois s'attela à nouveau à la tâche. Au bout d'une minute, la dernière pièce finit par être libérée. Un petit sourire satisfait apparut, alors que sa main rangeait le premier cas résolu.
Avec enthousiasme, le chinois attrapa le second. À cet instant, ses yeux avaient glissé sur le bureau restant strictement à la hauteur des mains du Directeur. Voir son expression était pas nécessaire. Que l'homme n'écrive pas ou que son geste paraisse nerveux ou hâtif, les deux signifiaient une réaction de sa part vis-à-vis de sa présence.
En somme, le moment lui paraissait approprié pour se lancer.

« - Comme vous ne répondez jamais à mes questions, je vais exposer une liste de possibilités. » Mais Jing ne lâchait pas pour autant son jeu. « Petit a, vous avez un fond de perversité et vous éprouvez un certain plaisir en voyant les conséquences négatives de certains de vos propos. Entre nous, j'ai écarté très vite cette possibilité, en plus, vous n'êtes pas assez suffisamment maso pour ça. » Il fronça les sourcils. Ça coinçait. « Petit b, vous ressemblez à ces espèces de précepteur majordome psycho-rigide. Vous savez ceux qui mettaient des piles de livres sur le bureau de leurs élèves et leurs coulaient un regard froid type Tais-toi et travaille. En même temps, vous me faîtes aussi penser à ces personnages dans les bouquins pour femme. Le type ténébreux, froid particulièrement désagréable avec l'héroïne, qui le déteste mais qui en même temps, ne pense qu'à lui. Jusqu'au jour où elle découvre, que cet homme aux airs si distants, qui garde tous ses sentiments pour lui, a un passé difficile. Durant cet instant de faiblesse, on découvre un homme tout autre. Les femmes adorent ces personnages. Sans doute le côté inaccessible qui donne un côté édition limitée, y en aura pas pour tout le monde. » Nouvelle pause. Jing posa un morceau de métal sur la table. « Mais je me suis égaré... Bref petit c, vous avez traumatisé par le passé par un psychologue. Depuis vous nourrissez une haine féroce pour la profession, à tel point que vous faîtes des généralités sans vous soucier des répercussions. » Ses doigts s'arrêtèrent. « Que penseriez-vous d'un capitaine d'un bateau école qui critiquerait pour des raisons personnelles un des membres de son équipage ? »

A peine avait-il posé cette question qu'il tira d'un coup sec sur deux pièces. L'un des bouts vola pour  atterrir en territoire ennemi, le bureau de Yuushin. Ou plus exactement une feuille.

Pas la poubelle. Pas la poubelle. Pas la poubelle.

Même s'il ne regardait pas Yuushin, Jing écoutait. La plupart des gens considérait un contact visuel comme une marque d'attention. L'homme n'y croyait que de manière relative. Combien de fois avait-il fixé un professeur avec ce regard absent qui caractérise l'élève qui a décroché du cours ?
La preuve de son intérêt fut des sourcils qui se haussèrent à un certain passage juste après que la pièce ne prenne son envol. Mais plus que de l'intérêt, il sentit une pointe d'agacement émerger.

À ce moment précis, ses yeux ne quittaient pas les mains de son interlocuteur.

« - Le rôle d'un chef est d'unifier son peuple et de le protéger de dangers externes et internes en ayant conscience que lui-même peut être un danger. »

Les mots s'étaient succédés très vite comme si l'homme se hâtait pour une raison inconnue. En tout cas, pour Jing, un dieu était la solution des chefs irresponsables, incompétents ou même des faibles.

Silencieux, l'homme attrapa le morceau de métal, souffla un remerciement et rangea sans attendre l'objet dans une poche. Quelques secondes après, ses lèvres s'agitèrent à nouveau.

« - Une raison autre que vous dîtes juste ce que vous pensez ? Une raison autre que vous usez d'un droit qu'il faudrait utiliser avec parcimonie ? »

Chaque geste mal pensé selon une situation donnée pouvait devenir une faiblesse. Un petit sourire songeur flotta sur les lèvres de Jing, tandis que ses doigts jouèrent avec deux morceaux séparés. Maintenant qu'il avait résolu les deux casse-têtes, il n'avait plus rien à faire. D'un coup, Jing se leva, quitta le bureau en laissant la porte entrouverte pour revenir 2 minutes plus tard, avec des feuilles de papier et une règle. Il emprunta un crayon à Yuushin et se mit à tracés des carrés.

« - Vous savez, monsieur le Directeur, Je suis obligé de vous avouer qu'il est admis que nous sommes tous potentiellement des sociopathes. » En appuyant bien sur le mot potentiellement. « Il y a aussi des liens avec d'autres maladies mentales comme l'alcoolisme ou l'anxiété, par exemple. Et généralement, ces individus ont des personnalités de prédateur. Ce qui ne me semble pas être votre cas. Vous devez, sûrement, être du genre déterminé lorsque vous avez quelque chose en tête mais, je vous vois plus comme gibier que chasseur. Pour ce qui est du stress, en tant qu'artiste vous avez dû faire face à des pressions importantes et vous ne semblez pas avoir sombré dans certaines dérives. Mais vous deviez sûrement être entouré aussi. »

Il posa la règle sur une droite et tira d'un coup sec.

« - Avez-vous peur de ne pas être à la hauteur ? »