Comme souvent pendant son temps libre, Hirô venait papoter dans la salle des profs. Il y avait toujours des gens avec qui passer du bon temps et il appréciait énormément partager ces instants avec eux. D'autant plus avec la nouvelle année qui commençait, il allait voir de nouvelles tête et il ne raterait ça pour rien au monde ! En tant que concierge, il devait se tenir au courant de tout ce qui se passait dans l'école et connaître tout le monde ! Ah bon ? C'est pas obligatoire ? Foutaises ! Patient, préparant comme à son habitude la cafetière et la théière pour ses collègues, chantonnait à voix basse une musique populaire dont les étudiants raffolaient ces derniers temps. Etant le premier arrivé dans la salle, il attendait de voir qui allait le rejoindre en premier aujourd'hui.

Enfin la porte s'ouvrait ! Hirô se retourna en souriant d'un air accueillant pour voir le visage du nouvel arrivant. Ou plutôt de la nouvelle arrivante. Du moins, c'était ce qu'il comptait faire avant de voir l'oleign du désert s'écrouler comme une masse. La réaction fut immédiate. Son visage se décomposa à la vitesse de la chute et le bel adulte souriant devint soudainement un cauchemar humanoïde aux traits émaciés. Ignorant totalement la jeune femme qui était entré, il se jeta au sol, accompagné de sa belle Shimahime qui couinait d'inquiétude.

"Non ! Non, réveille toi ! Tu vas bien ? Que se passe-t-il ! Il faut demander de l'aide ! Hime, cours chercher un être soignant, je t'en conjure, ne laisse pas ainsi un frère tomber devant toi ! Vole, gracieuse reine et va quérir des soins tandis que je veille sur ce roi !"

Totalement parti dans ses délires, le choc matinal avait été un peu trop violent pour son cœur fragile. L'oleign tigrée s’apprêtait à bondir hors de la salle sur le champ.

Ah ? C'est le café ? Shimahime retourna flâner un peu plus loin tandis que le concierge se relevait en soupirant de soulagement. Si ce n'était que ça, la solution était simple. Il empoigna la cafetière et jeta son contenu par la fenêtre la plus proche. On. Ne. Touche. Pas. Aux. Oleings. Et puis bon, il y avait un être soignant dans le coin apparemment. Il vaporisa des produits ménagers dans la cafetière avant de la récurer avec un chiffon propre. Sur ses traits, son sourire était revenu aussi vite qu'il était parti.

"Haha ! Voilà qui est peu commun ! Je ferai attention à ce que l'odeur du café ne vienne plus agresser ses sens dans cette pièce tant que je serai là ! Malheureusement je ne reste pas toute la journée ici... Et vous êtes ?"

Sûrement un nouveau soigneur d'oleign du coup ! Mais le nom ne serait pas de trop ! Pour Hirô, c'était une potentielle copine avec qui papoter entre le ménage du hall et du premier étage.

Mika... Mika Kenway... C'était pas la fille qui mangeait des croissants ? Non, ça c'était l'autre... C'était pas la pote du type qui criait avec une voix d'ogre ? Nan, elle était là depuis longtemps elle... Bon, ben Mika, on connait pas !

"Enchanté, Hirô Gôshi, votre concierge. Et voilà Shimahime, l'oleign qui m'est lié. Ravi de vous rencontrer, Miko et vous. On ne vous a jamais dit que vos noms formaient un peu un duo comique ? Loin de moi l'idée de vous offenser bien sûr. Vous désirez un thé . J'allais chercher des friandises pour les oleigns, est-ce que Miko veut quelque chose en particulier ?"

Et voilà, maintenant que tous les oleigns étaient sains et saufs, Hirô était redevenu normal. Enfin, aussi normal qu'il pouvait l'être ! Sympathique, mais un peu bavard le monsieur. Si on adhérait, il y avait moyen de s'amuser ! Sinon... valait mieux s'en débarrasser avec vite.

Bon ben rien de particulier pour Miko... Il aura la même chose que Shimahime alors. Que voulait-elle au fait ? N'importe quoi mais avec du café dedans ? Oh you... Non, on évite de faire exprès d'envoyer les autres en salle de soin, ce n'est pas très gentil sinon ! Hirô ignora l'air moqueur de son oleign et partit choisir des beignets de veau aux légumes du jardin dont il appréciait la forme d'empreinte d'oleign. Après avoir servi les deux canidés, il alla chercher une tasse et la boîte à thés qu'il présenta à la demoiselle. Il la laissa choisir tranquillement.

"Oh ! Oui, c'est ma femme. Vous savez, c'est dur d'habiter ici sans exercer une profession dans le milieu ! Elle avait du mal avec les oleigns au début mais depuis qu'elle est professeur, j'ai l'impression que sa lumière s'est développée ! Enfin... Ce n'est sans doute qu'une impression, elle est si rayonnante ! Et vous, vous avez quelqu'un ?"

Ah bon, ça pouvait être une question gênante ? Mais non voyons ! Hirô s'empara de la bouilloire et versa l'eau bouillant sans faire attention si le sachet était déjà dans la tasse. Après tout, ça ne changeait rien pour lui.

Le thé vert dégageait une douce odeur qui remplaçait petit à petit celle du café. "Instable" ? Ah bon ? Ah. Tant pis pour elle. Contrairement à sa femme qui était quelqu'un de très stable et bien dans sa peau !

"Elle serait ravie de vous l'entendre dire. Je peux vous assurer que c'est une femme admirable. J'espère que vous discuterez avec elle un jour afin d'apprécier également les conversation qu'elle peut offrir. Elle est comme un soleil dans cette académie : toujours souriante à l'esprit acérée. Si attirante... *soupir* Pardonnez moi je m'égare ! Ça va faire dix ans que nous sommes mariés et j'ai encore du mal à penser à autre chose qu'elle ! Hahaha !"

Un vrai gamin. On oublierait presque les changements de ces derniers mois ! Après tout, ce n'était pas elle qui avait le plus changé mais qui pourrait en témoigné ?

Hirô fut un peu choqué du ton avec lequel Mika parlait à son oleign, ce n'était pas un chien tout de même ! Mais il se tut en s'inclinant poliment lors du compliment.

"S'il le désire, je peux lui ramener d'autres friandises du genre, nous avons des beignets de poisson, des beignets à la pâte de haricots rouge, des morceaux de viande séchée et et friandises végétariennes. Nous avons aussi des boissons apaisantes, énergisante, sucrées ou amères selon les goûts. C'est Hime qui me conseille sur les meilleurs produits ! Elle les as tous testé, c'est à elle qu'il faut dire merci pour tous les bonnes choses que l'académie a à proposer. On ne dirait pas, mais elle fait vraiment beaucoup pour que les oleigns aient une belle vie sur Hayashi... Encore merci Hime."

Son regard attendri était à présent tourné vers sa belle oleign tigrée. Il l'aimait, c'était incontesté. Au moins autant que sa femme. Peut être plus. Pas le même amour sans doute, mais un amour incontestable.

"J'espère que Miko et Shimahime deviendront amis et que nous saurons être à leur hauteur !"

Il avait dit ça à l'attention de Mika d'un air enjoué. Une fois encore, Hirô avait beaucoup d'énergie à revendre !

Mika avait retrouvé le silence et Hirô ne la dérangeait pas plus que nécessaire. Il retourna à son petit ménage en chantonnant une comptine japonaise connue. Après la bouilloire, il remettait de l'ordre dans les en-cas des professeurs, préparant sur un plateau diverses croissanteries et pâtisseries. Il y en avait de toutes les formes et de toues les couleurs, Hirô s'amusait à mettre chacun en valeur pour les rendre aussi appétissants que possibles.
Dans son coin, Shimahime laissa Miko s'approcher sans soucis. Après tout, elle n'avait aucun soucis avec les représentants de son espèce.

"Mon frère ? Tu perds la raison, mon bon ami... Mon humain sait certes se tenir et s'occuper de moi, mais il ne sera jamais mon frère. Hirô est un bon humain. La tienne a l'air de tenir à toi mais elle manque de discipline."

Elle ne s'était pas redressée. Elle en avait vu passé, des humains et des oleigns en vingt ans. Et elle savait que quoi qu'elle en dise, on ne l'écouterait jamais entièrement. Les oleigns étaient devenus comme ça : dépendants de leurs humains au point de disparaître avec eux. Foutaises et sensibleries. Il y en avait plein, des humains.

Shimahime releva la tête et tira la langue joyeusement. Dans son esprit, elle riait de l'avis de son compagnon. Hirô s'était un peu raidit mais continuait à vaquer à ses occupations sans intervenir.

"Je serais bien curieuse de savoir ce que tu évoques. Les humains ont des caractères bien différents, comme nous, mais ils ont faibles et ils manquent de sagesse. Tu connais bien cette humaine, je ne le nie pas, mais penses-tu qu'il soit normal que tu la connaisses mieux que moi ou que n'importe lequel de nos frères ? Regarde nous, nous ne sommes plus de l'ombre des oleigns. L'ombre de l'ombre ! Ha ! Elle est bien bonne ! Mais c'est vrai. Tu acceptes cette humaine comme ta famille mais pas moi, ça n'a aucun sens. Tu es perdu, Miko. Quand elle mourra, tu mourras avec elle, comme les autres. Alors que si tu meurs, elle n'aura qu'à attendre que le chagrin passe pour trouver une autre occupation. Ne t'enflamme pas, tous les humains n'agissent pas pareil mais ça reste une généralité."

Une douleur vive avait traversé Hirô. De la tristesse, certes, et le désir de la contredire. Mais il savait qu'elle avait raison. Les humains perdaient leurs proches, leurs enfants, mais parvenaient sans cesse à se relever. C'était une des forces des humains mais une terrible trahison pour les oleigns. Chacun son code de l'honneur après tout, ils n'étaient pas faits pour être aussi liés.

Il n'était pas utile de répondre. Tous les oleigns de sa génération étaient les même. Sans doute serait-elle comme eux aujourd'hui si elle ne l'avait jamais connu. C'était pour ça qu'elle ne pouvait pas leur en vouloir. Comme Hirô, Shimahime était triste de cette fatalité qui les affectait. Ils étaient là, tous deux, à savoir ce qui attendait les oleigns sans pouvoir prévenir ni agir. Impuissants mais essayant en vain de transmettre leurs avertissements avant qu'il ne soit trop tard. Hirô arriva avec un beignet de porc qu'il déposa devant Shimahime et s'agenouillant. Il avait envie de la serrer fort contre lui comme avant et elle lui autorisa un bref contact. Il caressa sa tête avec un regard rempli de tristesse et elle tenta de ne pas réagir, fermant les yeux. Le concierge se releva et se tourna de nouveau vers le professeur avec un sourire un peu cassé par l'émotion.

"C'est une chance que nos oleigns s'entendent bien. Shimahime a tendance à se faire attaquer à cause de son ton un peu sec, j'ai toujours peur pour elle mais elle m'affirme que "tout se passera bien". Vous savez comment c'est, quand un oleign a une idée derrière la tête ! Haha ! Miko doit vraiment être un oleign sage, je suis très fier d'avoir eu la chance de croiser son chemin."

C'était sincère. Il se plaçait sous les oleigns et les oleigns que Shimahime connaissaient étaient d'une certaine façon liés à lui au travers d'elle. Mais il n'aimait pas discuter sérieusement trop longtemps. Il ne voulait pas trop y penser. De toute façon, ça n'était pas comme s'il pouvait faire quelque chose d'autre pour eux.

Hirô n'était pas mécontent que l'ambiance soit redevenue plus légère. Discuter du soleil et du beau temps était bien moins épuisant pour ses nerfs que de parler des oleigns. Râler sur les erreurs des collègues était toujours le genre de conversation superficielle qu'il détestait auparavant mais qu'il voyait comme un salut désormais. Il rit en écoutant sa jeune collègue dénoncer son emplois du temps imparfait. Shima grignotait bêtement son beignet en ignorant de nouveau les trois idiots.

"Haha ! Ça arrive souvent en début d'année ! Personne n'est épargné ! Ça n'est pas plus reposant d'entendre les élèves se plaindre quand ça leur arrive ! Je suis bien content de définir moi même ma routine pour ça. Tant que le travail est fait à temps, je commence à l'heure que je veux ! Mais ironiquement, il y a tellement de choses à faire que je me lève à cinq heure du matin tous les jours... Des fois je me dis qu'il serait bon d'avoir mes week end comme vous autre ! Hahaha !"

Jamais de la vie. Plus maintenant. A quoi lui servirait d'avoir du temps libre pour y repenser plus souvent ? Non, c'était carrément inutile... Mieux valait travailler sans cesse à récurer cette école et s'user la santé jusqu'à ne plus penser. Et puis après tout, il pouvait profiter de son travail pour boire du thé avec ses collègues entre deux tâches ménagères !

"Si vous cherchez la bouilloire, elle est juste là, à côté de la cafetière. Les tasses sont dans l'étagère juste au dessus et les thés sont dans le tiroir en dessous avec le sucre. Si un jour vous ne les trouvez pas, n'hésitez pas à venir sonner chez moi même si je ne suis pas là pour déposer une réclamation, je les lis toutes ! Normalement, tous les soucis sont réglés dans le les vingt quatre heures qui suivent !"

Manquaient plus que quelque chose n'aille pas ! Hirô était très fier d'être un des piliers de la tranquillité d'Hayashi. C'était grâce à sa persévérance et à son dévouement que tout était toujours en ordre pour le personnel comme pour les élèves. Se sentir utile était pour lui une véritable source de plaisir.

Elle était trop polie ! Hirô aimait travailler et rendre service, surtout quand ça impliquait de montrer aux autres qu'il en faisait plus qu'eux ! Et si en plus elle lui demandait ouvertement de se venter de la quantité de travail qu'il effectuait, alors tout était parfait !

"Vous ne me dérangerez pas voyons ! Il est toujours agréable de recevoir une requête aussi simple que du sucre entre deux plaintes de bagarre sanglantes dont il faut effacer les traces ! Alala ces jeunes, c'est beau de voir tant d'énergie ! Sans oublier les vases cassés, les traces de pas boueuses des chaussures et oleigns lorsqu'il pleut un peu... Et puis il est parfois répugnant de décoller les chewing-gum sous les tables ou encore de nettoyer les toilettes. Franchement, je me demande des fois où est-ce qu'ils ont appris à faire pipi ! M'enfin, les filles aussi ont leurs soucis... Certaines devraient s’entraîner à jeter leurs moyen de protection anti-menstruation dans la poubelle prévue à cet effet, c'est une horreur à ramasser ou à déboucher les toilettes par la suite ! Et après il y a les tâches moins fréquentes comme laver les vitres... Mais c'est plus long... Généralement, je passe une semaine à faire toute l'académie. Et encore au stade au dessus, il y a les tâches exceptionnelles comme refaire la peinture dans certaines salles ! Mais le pire malgré tout, ça reste le nettoyage des chambres. Oui, c'est pire que les toilettes selon moi... Que ce soit les filles ou les garçons, croyez moi qu'il est gênant de ramasser ce qui traîne parfois ! HAHAHAHA ! Ca me rappelle le bon vieux temps ! Je cachais les miens entre le bois du lit et le matelas et je les jetais dans les poubelles le lendemain ! HAHAHAHA !"

Shima l'ignorait, elle connaissait déjà tout ça. Et puis quand il racontait sa vie, le mieux était de le laisser finir pour éviter qu'il ne recommence sur un autre sujet.

Il y avait vraiment des gens qui ne savaient pas ce que ça impliquait à cet âge ? Était-elle trop pure ou se jouait-elle de sa naïveté ? Le concierge ne pouvait pas aisément parler à voix haute de ce genre de sujet en présence d'une femme et il pensait que sa petite confidence était déjà à la limite du tolérable. Même si elle demandait, il hésitait à éluder la question avec un air gêné. Il ne rougissait pas, mais presque.

"Et bien, vous savez, quand on est adolescent, il y a bien des choses qu'on ne souhaite pas partager avec tout le monde... Des choses gênantes et privées qui ne se montrent pas adultes non plus d'ailleurs, enfin plus ou moins, si, ça dépend avec qui mais globalement c'est pas le genre de chose que..."

"AHOUUUUUUU"

Shimahime avait eu pitié du concierge, et elle en avait surtout marre de ressentir sa gêne de pucelle japonaise résonner dans sa tête. Elle avait hurlé pour détourner l'attention et ça semblait plutôt bien marcher. Hirô changea de sujet avec l'aisance des bons bavards sans oublier de remercier intérieurement la reine tigrée.

"Hahaha ! Quelle blagueuse ! Mais assez parlé de moi, vous êtes là depuis combien de temps ? Je crois que c'est la première fois que nous nous voyons après la cérémonie d'ouverture... Vous avez déjà défini les classes et vu quelques élèves ? Ce n'est pas trop dur ? Comment ça se passe ?"

Il était en un sens vraiment intéressé par le soin aux oleigns. Cela allait sans dire, il vérifiait les convictions de son interlocutrice ! Rien n'échappait à la plus grosse commère de l'académie !